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1 octobre 2006 - Changement climatique : La fonte du
Nord s'accélère - François Cardinal
En seulement une semaine, près d'une demi-douzaine d'études
scientifiques ont conclu à une fonte précoce des glaces du Grand
Nord. Et cette conséquence directe des changements climatiques
n'épargne pas le Québec.
Les scientifiques sont catastrophés: leurs prévisions pessimistes ne
l'étaient finalement pas assez. L'Arctique se réchauffe à la vitesse
grand V, la glace permanente fond à vue d'oeil et les ours blancs se
noient... lorsqu'ils ne sont pas occupés à s'entre-dévorer.
«Les bouleversements sont si rapides que ce qu'on attendait pour
2050 pourrait survenir aussi vite qu'en 2020, note Yves Bégin,
directeur du Centre d'études nordiques de l'Université Laval. Les
prédictions les plus pessimistes se réalisent.» En un peu plus de
sept jours, au moins cinq études scientifiques ont fait état d'une
fonte accélérée des glaces nordiques, de l'Alaska au Groenland en
passant par le Québec. Elles soutiennent toutes que l'homme est le
grand coupable de cette agitation climatique. Est-ce le canari dans
la mine, le signe avant-coureur de troubles planétaires? «Tout
regarde dans cette direction», se désole M. Bégin, une sommité dans
son domaine. Une étude de la NASA publiée mardi dans les Annales de
l'Académie nationale américaine des sciences révèle ainsi que la
température globale des 30 dernières années a été la plus élevée
depuis près de 12 000 ans, conséquence directe de l'augmentation des
émissions de gaz à effet de serre. «Les indices laissent penser que
nous approchons de niveaux de pollution humaine dangereux, a noté
James Hansen, de l'Institut Goddard de la NASA. Si le réchauffement
atteint au total deux ou trois degré Celsius (elle a augmenté de 0,6
degrés à ce jour), nous verrons probablement des changements qui
feront de la Terre une planète différente de celle que nous
connaissons.»
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Le réchauffement planétaire met
l'ours blanc en péril. La situation est si préoccupante
que certains écologistes demandent aux autorités
d'ajouter le grand ours blanc à la liste des espèces
animales menacées. |
L'albédo...
Le Grand Nord est à la fois précurseur et responsable de cette
situation. Le réchauffement de la planète a en effet d'abord été
observé dans l'hémisphère nord. Or cette région a un rôle de
régulateur de la température de la Terre: son réchauffement accélère
le réchauffement du reste du monde.
«L'Arctique a une très grande importance dans le climat de la
planète en raison de l'albédo terrestre, c'est-à-dire la réflexion
de la lumière par la glace, indique M. Bégin. Cela entraîne un effet
domino: moins de glace, moins d'effet réfléchissant, plus
d'accumulation de chaleur et ainsi de suite.»
Il y a quelques jours, une autre étude de la NASA concluait
d'ailleurs à une accélération de la fonte de l'Arctique. On notait
qu'il n'était plus nécessaire d'attendre une décennie, comme avant,
pour observer l'amincissement de la glace. Une seule année suffit
pour voir des changements sur terre et sur mer. Du jamais vu depuis
les premières observations faites en 1978.
Sur terre, on a constaté qu'au cours des 25 dernières années, la
calotte glaciaire est passée de 7,5 millions à 5,5 millions de km2,
selon Louis Fortier, ancien directeur d'ArcticNet, groupe de
recherche qui étudie les impacts des changements climatiques dans
l'Arctique côtier.
Et sur mer, les changements sont encore plus frappants: les
chercheurs ont soutenu en 2004 que l'océan Arctique pourrait être
libre de glace pendant quelques semaines d'ici la fin du siècle. Il
s'agirait d'une première depuis plusieurs millions d'années. Le
problème, c'est que cette prédiction, contenue dans l'Arctic Climate
Impact Assessment, était trop optimiste...
«Toutes les mesures montrent que l'amincissement va plus vite que
prévu, précise Louis Fortier. C'est alarmant, car cela confirme que
la banquise (la glace qui se forme sur l'eau) pourrait disparaître
bientôt. Certains chercheurs croient même que l'océan Arctique
pourrait être libre de glace dès 2011. Mais moi, ça m'effraie
tellement que je préfère dire 2015...»
Passage du N.-O.
Une étude indiquait d'ailleurs la semaine dernière que des
satellites européens ont constaté l'ouverture récente du mythique
passage du Nord-Ouest, une région convoitée pour le transport
maritime. Le régime minceur de la calotte glaciaire fut si vigoureux
cet été que de 5 à 10 % de la glace permanente (celle qui ne fond
habituellement pas l'été) a été fracturée sous l'effet des tempêtes.
Si la fonte de la glace n'est pas nouvelle, c'est la première fois
qu'elle se fracture jusqu'au pôle Nord géographique sous le seul
effet de la houle et du vent, notaient alors les chercheurs de
l'Agence spatiale européenne (ESA). Enfin, deux autres études
dévoilées ces derniers jours confirment que ce réchauffement se fait
d'un bout à l'autre de l'Arctique canadien. Dans la revue Nature,
deux chercheurs de l'Université du Colorado soutiennent que d'avril
2004 à avril 2006, la calotte glaciaire du Groenland a fondu deux
fois et demi plus vite que les années précédentes.
Et deux glaciologues de l'Université Alaska Fairbanks ont observé
que la plupart des glaciers du sud-est de l'Alaska s'amenuisent deux
fois plus vite qu'on ne le croyait. Pis encore, ils ont constaté la
fonte de 95 % des glaciers de cette région.
Tensions à l'horizon...
Les changements climatiques viennent avec leur lot d'impacts. Et
l'un d'entre eux sera fort probablement la remise en question de la
souveraineté du Canada dans l'Océan arctique. La possibilité de voir
très prochainement le passage du Nord-Ouest libre de glace fait
craindre le pire pour certains observateurs. La souveraineté du
Canada sera en effet mise à rude épreuve par le passage fréquent des
bateaux qui relieront l'Europe à l'Asie. Les transporteurs maritimes
salivent déjà à l'idée de court-circuiter le canal de Panama et
ainsi profiter de trajets beaucoup moins longs et donc moins
coûteux. C'est précisément ce que leur permettra la disparition
d'obstacles naturels. Or bien que le Canada jouisse d'une certaine
domination sur les îles de l'archipel, sa souveraineté sur les eaux
maritimes est contestée par les États-Unis et l'Europe. Le Canada,
soutiennent ces deux importants blocs, n'a pas droit de regard sur
les activités maritimes dans la région.
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