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Changement climatique : La fonte des sols gelés de
Sibérie s'accélère et renforce l'effet de serre - Au réchauffement,
il arrive que certains écosystèmes répondent... par le réchauffement
- c'est-à-dire par une émission accrue de gaz à effet de serre. En
particulier, la fonte du pergélisol (ou permafrost) - le sol presque
perpétuellement gelé des régions bordant le cercle polaire arctique
- favorise la décomposition des grandes quantités de carbone qui y
sont piégées. Ce processus entraîne le rejet dans l'atmosphère de
méthane (CH4), dont le pouvoir d'effet de serre est environ 20 fois
supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2).

Ce cercle vicieux - "boucle de rétroaction positive", pour les
intimes - est sous-estimé. En témoignent les travaux d'une équipe de
chercheurs américains et russes, publiés jeudi 7 septembre dans la
revue Nature, qui réévaluent fortement à la hausse la contribution
des lacs de dégel sibériens à l'effet de serre. Selon Katey Walter,
chercheuse à l'Institut de biologie arctique de l'université
d'Alaska, ces lacs pourraient émettre "cinq fois plus de méthane que
précédemment estimé".
Les auteurs s'appuient sur une nouvelle méthode de mesure du
dégazage par ébullition - c'est-à-dire par remontée de grosses
bulles de méthane à la surface. Ce phénomène, circonscrit à des
zones très précises des étendues d'eau, était jusqu'alors négligé ;
il s'avère en réalité crucial.
Les lacs étudiés - appelés lacs de dégel - se forment en raison du
réchauffement des couches supérieures du pergélisol. "Leur fonte
entraîne des affaissements de terrains - ou thermokarsts - dans
lesquels l'eau peut stagner, puisqu'elle repose sur des couches
sédimentaires inférieures qui demeurent gelées, explique Gerhard
Krinner, chercheur au Laboratoire de glaciologie et géophysique de
l'environnement (CNRS et université Joseph-Fourier). Jusqu'à
présent, les mesures d'émissions étaient faites en étudiant
aléatoirement des zones à la surface de ces lacs, sans tenir compte
de ces endroits localisés où les flux de méthane apparaissent très
importants."
"Les précédentes estimations tenaient principalement compte des
couches sédimentaires supérieures, ajoute M. Krinner. Ces nouveaux
chiffres incluent ce qui est émis par les couches plus profondes,
qui stockent du carbone depuis plus de 30 000 ans."
Les chercheurs ont passé au crible deux importants lacs de dégel
sibériens. Ils ont ensuite extrapolé ces résultats pour situer les
émissions de méthane des lacs sibériens à 3,8 millions de tonnes par
an. Ce qui représente une augmentation de 10 % à 63 % des émissions
de toutes les zones humides boréales, selon qu'on tient compte de
l'approximation haute (40 millions de tonnes) ou basse (6 millions
de tonnes). A titre de comparaison, le surplus calculé par Katey
Walter et ses coauteurs est largement supérieur aux émissions
françaises de méthane, qui étaient évaluées, en 2004, à près de 2,8
millions de tonnes.
La concentration atmosphérique moyenne de méthane est passée de 700
parties par milliard (ppb) au milieu du XVIIIe siècle à 1 745 ppb en
1998. Cependant, à la différence du dioxyde de carbone, le méthane a
une durée de vie dans l'atmosphère relativement courte - de l'ordre
de la décennie. Il est de plus, comme le rappelle Didier Paillard,
paléoclimatologue et chercheur au Laboratoire des sciences du climat
et de l'environnement, "sujet à des variations importantes de
concentration en fonction de la latitude et de la saison".
Outre la réévaluation des émissions naturelles de méthane issues des
zones humides boréales, les chercheurs ont estimé la vitesse à
laquelle se forment ces lacs de dégel sous l'effet du réchauffement.
En comparant des images satellites de la zone étudiée, ils sont
parvenus à la conclusion que la superficie des lacs de dégel
sibériens a suffisamment augmenté pour que leurs émissions de
méthane aient augmenté de 58 % entre 1974 et 2000.
Cette situation est cependant moins alarmante qu'il n'y paraît. "Le
dégel des couches supérieures du permafrost n'entraîne la formation
de lacs de dégel que si les couches inférieures demeurent gelées,
explique M. Krinner. Lorsque ces dernières auront également subi
l'impact du réchauffement, elles pourraient laisser l'eau filtrer
et, du coup, les lacs pourraient disparaître."
Le processus de formation de ces lacs pourrait ainsi n'être qu'un
phénomène transitoire, comme l'ont déjà avancé des chercheurs
américains dont les observations, publiées en 2005 dans la revue
Science, suggéraient une disparition des lacs de dégel en Alaska.
Stéphane Foucart
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